Poun Naou


Avec Bruno Almosnino, textes
2018—22 




J‘entre chez un habitant d’Arras-en-Lavedan, un village des Hautes-Pyrénées (65), et découvre, accrochée au mur du salon, une quenouille en bois sculpté, réhaussée de deux couleurs.
Inquiétante étrangeté.
Impression de déjà-vu et émerveillement.
De quoi s’agit-il ? De quelle culture provient cet indice, de quel foyer de pratiques rituelles ou magiques ? S’agit-il d’un objet d’art premier ? Je n’en ai aucune idée et suis loin d’imaginer qu’il provient du Val d’Azun, qu’il est typique des productions locales issues des arts et traditions populaires du XXe siècle.

En allant par la suite dans des musées de société exposant cette vie pastorale, une gêne émerge. Quelque chose contrevient à la sensation première éprouvée face à la quenouille. La présentation des objets insiste sur un monde fini(ssant). Elle relègue les puissances artistiques au profit d’un discours scientifique ou pédagogique, désactive l’aura des objets au bénéfice de leur fonction, empêche l’accès à un inventaire de formes inconscientes, archaïques, mémorielles. 
Le geste muséographique prend ici le contrepied de celui des musées d’art moderne et contemporain qui pensent au présent des durées et des temps bien plus anciens parfois comme le géologique par exemple, qui réhabilitent l’artisanat comme part entière de l’art, ou insistent sur la décolonisation des esprits quant aux classements ou à la déclassification de certaines populations. 

À partir d’une collecte sensible réalisée auprès d’une trentaine d’habitant.es, Poun naou formalise une série de portraits et de paysages en images et en textes. Poun naou, qui signifie pont neuf en patois, est un hommage à la vie rurale, aux arts paysans et négligés. Et un geste muséographique de réparation.

Les portraits photographiques, réalisés en studio, ne figurent pas les personnes, ils les représentent par un assemblage de plusieurs de leurs objets, détournés de leurs fonctions usuelles, mis en oeuvres, “à la manière de”, selon des esthétiques empruntées à des courants artistiques et des codes muséographiques. Ainsi apparaissent et se répondent prélèvements, documents, détournements, réappropriations, citations et reproductions.
Les paysages mettent en perspective la force de la culture visuelle sur nos perceptions, une certaine conquête de l’espace, l’esprit dans la matière, le regard comme pouvoir d’éteindre autant que d’éclairer des mondes.

 


                 








Battant de collier de vache sculpté (face)
os, coll. Jean Bégarie,10x4,5cm, Val d’Azun,
Pyrénées, XXème



















Ce travail a reçu le soutien de la commune et de l’Abbadiale d’Arras-en-Lavedan (65), de la Drac Occitanie - service ethnologie, de Traverse à Bagnères-de-Bigorre (65), du Parvis à Tarbes (65) et de la Pouponnière à Cahors (46)






Un livre à parâitre aux éditions Arts Pauvres (automne 2024, 184 pages, offset, quadri) présentera l’ensemble des photographies et des portraits en textes, ainsi qu’un récit ethnopoétique de 51 pages de Bruno Almosnino